VIDEO. Ce que cherche la Chine en posant une sonde sur la face cachée de la Lune
L’astrophysicien François Forget analyse pour franceinfo les enjeux de cet alunissage inédit.
Pour la première fois dans l’histoire de l’exploration spatiale, un engin s’est posé sur la face cachée de la Lune, jeudi 3 janvier. Et cet exploit inédit est l’œuvre des Chinois. L’astrophysicien François Forget, chercheur au CNRS, explique à franceinfo en quoi cet alunissage inédit conforte les ambitions spatiales chinoises.
Un des principaux défis consistait à parvenir à communiquer avec le module Chang’e-4, déposé jeudi à la surface de la Lune, note le scientifique. La face cachée étant toujours orientée dans le sens opposé à la Terre, il n’y a pas de “ligne de mire” directe pour transmettre les signaux, sauf à installer un relais. La Chine avait donc lancé en mai un satellite baptisé Queqiao (“Le Pont de la pie”), positionné en orbite lunaire de façon à relayer les ordres et les données échangées entre la Terre et le petit robot téléguidé.
Un point de vue nouveau sur le vent solaire
Chang’e-4 va maintenant mener plusieurs études sur son environnement lunaire. “Il y a un énorme cratère, certainement très ancien, qui fait 2 500 km de diamètre, presque 10 000 m de profondeur. Et on pense que ce cratère a été tellement profond qu’il a excavé la surface, qu’on appelle la croûte de la Lune, pour libérer des roches profondes, du manteau de la Lune. Et donc c’est assez intéressant d’aller voir là”, souligne l’expert.
Le module chinois va également pouvoir étudier le vent solaire, relève le spécialiste. “Lorsqu’on est du côté de la face visible, on est toujours dans le sillage de la Terre, lorsqu’on est tourné vers le Soleil. Tandis que, quand on est du côté de la face cachée, lorsque la Lune est entre la Terre et le Soleil, elle reçoit directement ce vent solaire. Et c’est très intéressant. On peut recevoir des particules qu’on ne reçoit pas autrement. Et on peut faire des études sur ce vent solaire, sur l’environnement spatial qui sont sans précédent.”
Bientôt des Chinois sur la Lune ?
Pour la Chine, cet alunissage sur la face cachée est surtout une nouvelle étape symbolique du programme spatial piloté par l’armée, fait observer François Forget. Pékin investit des milliards, plaçant des satellites en orbite, pour son propre compte ou pour celui d’autres pays. “Du côté robotique, il y a des projets de télescopes spatiaux qui sont assez ambitieux, en partenariat avec les Européens”, ajoute l’astrophysicien. Et le pays espère même envoyer des humains sur la Lune. Un enthousiasme à tempérer. “Les Chinois ont un programme spatial avec des astronautes qui est assez ambitieux, mais qui ne va pas très vite”, estime le chercheur. “A ce rythme-là, on ne pense pas que les taïkonautes pourront aller marcher sur la Lune avant de nombreuses années. Peut-être 2030-2035.”
Le géant asiatique a par ailleurs dévoilé en novembre une réplique de sa première grande station spatiale, “Palais céleste”, qui devrait être opérationnelle aux alentours de 2022. Elle devrait devenir la seule station à évoluer dans l’espace après la retraite programmée en 2024 de l’ISS, qui associe Etats-Unis, Russie, Europe, Japon et Canada.
Un engin chinois sur la face cachée de la Lune : le spationaute Jean-François Clervoy prévoit “une certaine forme de compétition”
Jean-François Clervoy, ancien spationaute français, a réagi sur franceinfo à l’exploration inédite de la face cachée de la Lune réalisée par une équipe chinoise jeudi 3 janvier 2019.
C’est une première mondiale. La Chine a réussi jeudi 3 janvier 2019, l‘alunissage inédit d’un engin sur la face cachée de la Lune, un événement historique qui renforce les ambitions spatiales de Pékin. “Il y aura une certaine forme de compétition”, a reconnu sur franceinfo Jean-François Clervoy, ancien spationaute français.
franceinfo : Cet alunissage sur la face cachée de la lune est-il un réel exploit ?
Jean-François Clervoy : Oui, c’est une première. Il y a eu plusieurs premières dans le passé avec la Lune. Les Russes ont été les premiers à photographier la face cachée, les Américaines à la voir avec des yeux humains, l’Europe la première à y être allée avec la propulsion ionique, et là, les Chinois sont les premiers à se poser sur la face cachée.
Quel est l’intérêt de cette face cachée ?
Il y a plusieurs intérêts. Comme elle est opposée à la Terre, elle n’est pas cachée du Soleil, mais de la Terre. Donc, elle n’est pas dans l’obscurité. Il y a un intérêt scientifique pour les astronomes puisque c’est une face qui est cachée de toutes les émissions radio, polluantes de nos télévisions, antennes et qui permettent de faire de la radioastronomie dans des domaines de fréquences qui sont impossibles depuis la Terre.
C’est une zone qu’on ne connaît pas donc on va en apprendre sur la Lune, sur la formation du système solaire. On va peut-être trouver des ressources intéressantes pour installer plus tard des bases ou pour fabriquer du carburant pour permettre à des missions d’aller plus loin sans rien emmener de la Terre.
Les Chinois relancent-ils la compétition de l’espace ?
Il y aura une certaine forme de compétition. Aujourd’hui, on est plus dans la coopération que dans la compétition. D’ailleurs les Européens coopèrent avec les Chinois dans le domaine des vols habités, nous avons des expériences qui ont déjà volées à travers de leurs stations spatiales habitées. Des astronautes européens se sont entraînés avec des Chinois. On continuera à coopérer, mais c’est vrai que depuis que la Chine a annoncé en mars dernier qu’elle comptait envoyer des humains sur la surface de la Lune avant 2030, les Américains ont annoncé dans le mois qui a suivi leur ambition de faire la même chose.